Commentaires sur le livre de Lola Lafon La petite communiste qui ne souriait jamais
par Jean-Pierre Leroy
Table des matières
- Avertissement au lecteur de ce blog
- Avant-propos du livre, préparation de Lola Lafon
- Sourires
- Poutre
- Un virgule zéro zéro
- Cheval d'arçons
- Barres asymétriques
- Double salto
- Couettes
- 17 juillet
- Nadia court vite
- Nellie Kim change de nationalité
- "Interprète"
- La belle aventure ô gué
- Le procès
- Nadia rapetisse
- Béla au pays des Soviets
- Pas d'amies
- Zoom sur la vie très privée de Nadia
- Je ne vous trompe pas
- Inexactitudes
- Bibliographie
Avertissement au lecteur de ce blog
Un certain nombre de choses m'ont fait sursauter à la lecture de ce livre, ou à l'écoute de Lola Lafon dans des entretiens qu'elle a donnés au sujet du livre. De nombreuses erreurs factuelles, bien sûr, mais aussi à certains endroits l'incroyable manque de tact de Lola Lafon envers Nadia Comaneci.
Notez cependant que je ne connais la gymnastique qu'en tant que téléspectateur, que je ne connais pas personnellement Nadia Comaneci, que je ne suis jamais allé en Roumanie, que je ne parle pas roumain. Cette liste ne prétend donc aucunement à l'exhaustivité. Les spécialistes compléteront.
Avant-propos du livre, préparation de Lola Lafon
Voici, dans son intégralité, l'avant-propos du livre (emphases ajoutées par moi) :
"La Petite Communiste qui ne souriait jamais" ne prétend pas être une reconstitution historique de la vie de Nadia Comaneci. Si les dates, les lieux et les événements ont été respectés, pour le reste, j'ai choisi de remplir les silences de l'histoire et ceux de l'héroïne et de garder la trace des multiples hypothèses et versions d'un monde évanoui. L'échange entre la narratrice du roman et la gymnaste reste une fiction rêvée, une façon de redonner la voix à ce film presque muet qu'a été le parcours de Nadia C. entre 1969 et 1990.
Si je rappelle l'avant-propos, c'est que tous les lecteurs ne l'ont apparemment pas lu :
Dans Lola LAFON, Edyr AUGUSTO : Histoires de vies, l'animatrice, Maëtte Chantrel, avoue :
[vimeo.com/99236018, 4'30"]
Quand on ouvre le livre, on lit tout de suite l'avant-propos, ou on ne le lit pas. Moi je ne l'ai pas lu, et j'ai lu le livre, et moi j'ai cru à tout, mais à tout ! Et c'est seulement après que j'ai lu l'avant-propos.
Extrait de boutabou.wordpress.com/2014/03/25/lola-lafon-la-petite-communiste-qui-ne-souriait-jamais :
Lola Lafon nous offre le résultat de son long travail d'anthropologue, qui a duré plusieurs années, et lui a permis d'entrer en contact avec Nadia Comaneci elle-même, mais aussi avec les gens qui l'ont côtoyée, de près ou de loin, et de rassembler tout ce qui pouvait être source de détails sur la vie de l'extraordinaire gymnaste.
une lectrice anglophone :
[www.youtube.com/watch?v=2v16wi2g3j0, 2'50"]
She told Nadia she was writing this book, and she actually shows correspondence she has with Nadia in the book, so presumably Nadia was OK with it.
[traduction] Elle a dit à Nadia qu'elle était en train d'écrire ce livre, et en fait elle montre dans le livre une correspondance avec Nadia, donc Nadia était probablement d'accord.
dans Le Masque & la Plume du dimanche 2 février 2014, le critique littéraire (!) Michel Crépu avoue ne pas savoir si les lettres entre la narratrice et Nadia Comaneci sont vraies :
[www.franceinter.fr/emissions/le-masque-et-la-plume/le-masque-et-la-plume-02-fevrier-2014, 21'55"]
Je me suis demandé si les lettres, qu'elle introduit dans son livre, de Nadia sont vraies.
Étant donné ces confusions, on se demande si la phrase de l'avant-propos quant au caractère fictif des échanges entre la narratrice et Nadia Comaneci ne devrait pas être réimprimée au début de chaque chapitre.
D'aucuns ont loué la précision du texte, par exemple à la librairie la Galerne :
[www.youtube.com/watch?v=x_7dsu46OoM, 2'50"]
Vous vous êtes replongée dans les documents de cette époque. Vous retranscrivez des moments réels, des interviews au mot près. La restitution des images et des reportages que vous faites est d'ailleurs d'une justesse remarquable.
Précision qui est le fruit de sa préparation méticuleuse :
[Comme on nous parle, www.franceinter.fr/emissions/comme-nous-parle/comme-nous-parle-28-janvier-2014, 30'03"]
J'ai lu l'Équipe, j'ai lu in extenso huit ans de l'Équipe, donc c'était assez, ouais...
[Europe 1 Social Club, www.youtube.com/watch?v=QB8_gY9NiFc, 0'05"]
J'ai quand même lu une dizaine d'années du journal l'Équipe, hein, je dois vous dire... Même si je ne lisais que la section gymnastique, quoi. Mais j'ai lu beaucoup d'autres choses.
[Café littéraire de Sainte Cécile les Vignes, Intégrale de soirée, www.youtube.com/watch?v=BIm-JeXZoPo, 26'50"]
J'ai lu une quinzaine d'années de l'Équipe, hein.
Intéressons-nous donc, entre autres, à ces dates, lieux et événements respectés, à ces interviews au mot près, à la restitution des images et des reportages d'une justesse remarquable.
Sourires
Dans le titre, la petite communiste ne souriait jamais.
Moi, quand je recherche "Comaneci" sur Internet, mon écran est inondé de photos et vidéos d'une fille de quatorze ans radieuse. Quand elle salue le public après avoir été notée, quand elle monte sur le podium, quand elle s'amuse avec ses coéquipières.
Poutre
Extrait du début de la Première partie, 2ème paragraphe (emphase ajoutée par moi) :
Mais pourquoi personne ne les a prévenus qu'il fallait regarder par là, ragent ceux qui ratent le moment où, sur les dix centimètres de largeur de la poutre, Nadia C. se lance en arrière et, les bras en croix, donne un coup de pied à la lune, saut à l'aveugle, et ils se tournent les uns vers les autres, est-ce que quelqu'un a compris, est-ce que vous avez compris ?
S'en suit une description du premier dix de Comaneci à Montréal.
Or, à Montréal Comaneci n'obtint pas son premier dix à la poutre, mais aux barres asymétriques.
Source (entre autres) : www.olympic.org/fr/videos/le-premier-dix-parfait-nadia-comaneci.
Un virgule zéro zéro
Extrait du début de la Première partie, 7ème paragraphe :
Le Comité olympique nous avait assuré lors de nos réunions préparatoires que dix n'existait pas en gymnastique, protestent les ingénieurs de Longines que la presse appelle narquoisement l'équipe "un virgule zéro zéro".
Si, le dix existait déjà en gymnastique : Comaneci avait obtenu dix en mars 1976 à l'American Cup.
Notons également que Comaneci ne fut pas la seule gymnaste à obtenir dix à Montréal : Nellie Kim obtint elle aussi la note parfaite, au sol et au saut de cheval. Et évidemment cet exploit fut, lui aussi, noté "1.00". Le livre ne fait pas mention des dix de Nellie Kim.
Sources :
Cheval d'arçons
Extrait du début de la Première partie, avant-dernier paragraphe :
Ces justaucorps, voilà qu'on les trouve trop échancrés, un peu étroits, peut-être, pour contenir les poitrines comprimées des jeunes femmes qui, lorsqu'elles s'élancent vers le cheval d'arçons, bougent imperceptiblement.
Je note au total sept fois cheval d'arçons dans tout le livre, à chaque fois à propos de gymnastique féminine.
Le cheval d'arçons est un agrès réservé à la gymnastique masculine. Lola Lafon voulait parler du saut de cheval.
Le traducteur de la version anglaise, Nick Caistor, a rectifié l'erreur.
Barres asymétriques
Extrait du chapitre Replay, 1er paragraphe (emphases ajoutées par moi) :
Comme si on avait amplifié les grincements des barres qu'elle violente avec une précision millimétrique. On les a enveloppés de réverbération, qu'ils soient une ponctuation angoissante, répétitive, à son corps qui enroule les barres. La petite serre les lèvres sous l'effort, ses épaules tressaillent à peine sous l'impact quand, après les avoir lâchées et effectué un tour sur elle-même entre les barres, elle rattrape l'appareil. Elle s'immobilise un instant en équilibre sur les mains sur la barre la plus haute. Un triangle, rectangle mouvant jusqu'à l'isocèle puis un i, une ligne de silence, respiration coupée, l'exercice en géométrie va finir, Nadia annonce sa sortie, son dos s'arrondit, les genoux sous le menton pour un double saut périlleux que seuls les garçons réussissent, on pensait assister à l'évolution d'une sylphide, voilà qu'elle emprunte aux hommes et leur flanque la raclée de leur vie.
Les barres asymétriques sont un agrès réservé à la gymnastique féminine.
Double salto
Extrait du chapitre Replay, 2ème paragraphe (emphases ajoutées par moi) :
C'est sur la poutre maintenant qu'elle pirouette, éclairée des flashs de lucioles folles, une lumière sautillante. L'enfant semble retenir toutes les respirations. Elle se lance en double salto et vrille et, d'un claquement de doigts – son arrivée au sol absolument stable –, elle les délivre, comme si on avait tourné un bouton de volume muet jusque-là, alors le public rugit d'adoration et de soulagement qu'elle ne soit pas tombée.
On peut revoir dans cette vidéo trois des exercices de Comaneci à la poutre : www.youtube.com/watch?v=Yl9QpC8_LiE. Moi, je ne vois pas de double salto lors des sorties à la poutre, "seulement" un salto et vrille.
Couettes
Extrait du chapitre Mission accomplie, 1er paragraphe (emphase ajoutée par moi) :
[la scène se passe à Montréal, en 1976]
Quand elle arrive enfin, vêtue du survêtement de l'équipe roumaine, bandes bleu jaune rouge et l'écusson communiste sur sa poitrine, son entraîneur la soulève et la porte à bout de bras jusqu'à sa place, la poupée qu'elle serre contre elle porte le même survêtement et leurs cheveux sont noués de la même manière, deux couettes ornées de rubans rouges.
Extrait du chapitre Instantanés - 26-27 juillet 1976, 2ème paragraphe (emphase ajoutée par moi) :
À l'aéroport de Montréal, des centaines de gens la reconnaissent et veulent toucher ses couettes, elle se retrouve plaquée contre le comptoir d'Air Canada.
Extrait du chapitre Strasbourg, 1er paragraphe (emphase ajoutée par moi) :
Ils disent : elle n'est plus l'écolière qu'on notait d'un 10 sur son cahier de gym et qui jouait à la poupée devant la planète entière. Ils notent : elle a coupé ses couettes et rangé ses rubans, ses formes gonflent son maillot.
J'ai beau regarder de nombreuses photos et vidéos de Montréal, je ne trouve pas trace de couettes, toujours une queue de cheval. Le film documentaire Nadia Comaneci, la gymnaste et le dictateur montre (18'00") des images d'archive de Comaneci à sa descente d'avion à Bucarest à son retour de Montréal. Là encore, queue de cheval.
Pour trouver des couettes à Comaneci, on est apparemment obligé de remonter aux championnats d'Europe de Skien (Norvège) de 1975.
17 juillet
Extrait du chapitre Mission accomplie, deux derniers paragraphes :
Alors, vides du calme après festivités, déjà en manque de la fée des Carpates, des millions de mères éteignent leur poste de télévision resté ouvert toute la journée depuis le 17 juillet. [...]
Alors, vides du calme après festivités, déjà en manque de la fée des Carpates, des millions de petites filles éteignent leur poste de télévision resté ouvert toute la journée depuis le 17 juillet, comme étourdies après une longue absence. [...]
La cérémonie d'ouverture des JO de Montréal eu lieu le samedi 17 juillet 1976, et les épreuves de gymnastique commencèrent le dimanche 18 juillet 1976.
Source (entre autres) : www.olympic.org/fr/montreal-1976.
Nadia court vite
Extrait du chapitre Mais quel âge a-t-elle ?, 6ème paragraphe à partir de la fin :
[la scène se passe à Montréal, en 1976]
Courir le plus fort possible, accumuler la puissance de la vitesse, 24 km/h, elle bondit à pieds joints sur le tremplin et ses mains entrent en contact brutal avec le cuir de l'appareil, [...]
24 km/h, soit 15 secondes aux 100 mètres, ça paraît tout à fait plausible.
Dans le chapitre Biomécanique d'une fée communiste (1975), elle allait plus vite :
Quelque chose qui omettrait la course d'élan à vingt-sept kilomètres à l'heure vers le cheval d'arçons mesurée la semaine précédente.
Mais c'est dans l'émission Plateau littéraire Paroles au féminin que Nadia prend son envol :
[www.youtube.com/watch?v=0PZJ6gNujQk, 7'03"]
l'écriture devait épouser cette fille qui va à 45 km/h
avant d'atteindre sa vitesse de pointe dans entretien avec Lola Lafon :
[mutualise.artishoc.com/cite/media/5/dp-lola-lafon.pdf, page 6]
Parce que c'est ce que je voulais dans le roman : j'ai compris qu'il fallait donner un rythme au corps de Nadia. C'est une fille qui courait à 46 km/h et moi, j'ai coupé tout le temps dans le texte pour avoir ce rythme desséché, sec, sans gras, avec beaucoup d'instantanés ; je voulais un livre et un spectacle fidèles à sa vitesse.
ou encore sur Radio-Canada :
Les petites filles de 76 qui ont eu un désir fou de l'imiter avaient envie de courir à 46 km/h, elles avaient envie de se mettre à l'envers, elles avaient envie d'être puissantes.
ou encore dans l'émission de TV5 L'Invité :
[www.youtube.com/watch?v=Boq9e2wwdQM, 2'30"]
Cette petite fille va inspirer des millions et des millions de petites filles à avoir envie de courir très, très vite, quand même 46 km/h, à faire l'impossible, à s'élancer dans le vide.
ou enfin au Prix des Lecteurs du Festival du Livre de Mouans-Sartoux :
[www.youtube.com/watch?v=IbX44g87X6g, 2'20"]
En vérité ce sont aussi des athlètes qui vont à 46 km/h.
Rappelons que lors de son record du monde de 2009, Usain Bolt courut le 100 mètres en 9,58 secondes, soit une vitesse moyenne de 37,58 km/h, avec une pointe de 44,72 km/h entre 60 et 80 mètres.
Nellie Kim change de nationalité
Extrait du chapitre Chiffres, 6ème paragraphe :
Je connaissais bien les Russes, Nellie surtout, ça faisait trois ans qu'on se croisait dans des compétitions.
La gymnaste soviétique Nellie Kim n'a jamais été russe.
"Interprète"
Extrait du chapitre La belle aventure ô gué, deux premiers paragraphes :
Nadia fait le tour des hommages occidentaux post-olympiques, accompagnée de Dorina, le merveilleux casting d'une reine et de sa suivante d'un modèle plus courant. Elles entrent sur le plateau de télévision flanquées d'une interprète "monitrice fédérale de Roumanie", surveillante chargée de veiller aux mots.
On note la tension palpable de "l'interprète" – on est en direct – au moment où l'animatrice de l'émission veut savoir si les fillettes ont hâte de retourner en Roumanie, après ce mois passé à Montréal. Son soulagement lorsqu'elles s'enthousiasment à l'idée de quitter l'Ouest. L'interview est presque achevée, une lente publicité pour les bienfaits de l'enfance communiste.
Il s'agit de l'émission québécoise quotidienne animée par Lise Payette, Appelez-moi Lise : www.youtube.com/watch?v=XO_yB0o58PU.
Je ne comprends pas les guillemets agressifs autour du mot interprète. Je pense que cette dame a été conviée sur le plateau simplement en raison du fait qu'elle parlait plutôt bien français.
Notons au passage que l'interprète n'est autre que Maria Simionescu, dont le livre parle davantage plus tard, dans le chapitre Mme Simionescu, et dans des termes plus positifs.
Et je ne palpe pas la tension de l'interprète au moment où Lise Payette demande si Nadia Comaneci et sa coéquipière Teodora Ungureanu (surnommée Dorina) ont hâte de retrouver leurs parents, de retourner dans leur famille.
Enfin, cette scène a lieu entre 2'49" et 3'20" de cette émission de onze minutes. L'interview n'est donc pas "presque achevée" à ce moment-là.
La belle aventure ô gué
Extrait du chapitre La belle aventure ô gué, antépénultième paragraphe (emphase ajoutée par moi) :
Nadia se redresse dans son fauteuil et, comme une déclaration d'indépendance, un chemin de traverse sans nœuds rouges, elle offre ses joues pâles et nues aux projecteurs et entonne, sans quitter la caméra des yeux : "Je suis un pe-tit gar-çon de bon-ne fi-gu-re je suis un pe-tit gar-çon la bel-le a-ven-tu-re ô gué la bel-le a-ven-tu-re."
Ce sont pourtant les vraies paroles du premier couplet de La bonne aventure que Comaneci et Ungureanu chantent dans l'émission :
Je suis un petit garçon De bonne figure Qui aime bien les bonbons Et les confitures. Si vous voulez m'en donner, Je saurai bien les manger La bonne aventure ô gué, La bonne aventure.
Source : www.youtube.com/watch?v=XO_yB0o58PU, 8'50".
Le procès
Extraits du chapitre Intermède américain : le procès :
Le procès sera télévisé et instruit en trois minutes trente-neuf lors d'une émission de divertissement américaine.
[...]
Présentateur : "Depuis Montréal, nous avons entendu dire que tu as pris quelques kilos... Tu as été malade ?"
Cet entretien de 1977 est télévisé sur la chaîne ABC, et a effectivement duré trois minutes trente-neuf. Voici la question susmentionnée du présentateur à Nadia Comaneci, que je retranscris, moi, au mot près :
[www.youtube.com/watch?v=CGMbdv760rU, 0'53"]
When a person becomes famous, we hear many rumors about them, the things that are happening to them, you know, which are not true. For example, we've heard, since the Olympics, that you had gained 15 kilos in weight, but that is not true apparently, we have heard that you were ill, we've heard that you were injured in the earthquake. Are any of these things true?
[traduction] Quand une personne devient célèbre, il y a beaucoup de rumeurs qui courent sur elle, les choses qui lui arrivent, tu sais, qui ne sont pas vraies. Par exemple, on a entendu dire, depuis les Jeux Olympiques, que tu avais pris 15 kilos, mais apparemment ce n'est pas vrai, on a entendu dire que tu étais malade, on a entendu dire que tu as été blessée dans le tremblement de terre. Est-ce qu'aucune de ces choses est vraie ?
Et le Grand Inquisiteur de conclure l'entretien par ces mots accompagnés d'une tape amicale dans le dos :
[www.youtube.com/watch?v=CGMbdv760rU, 3'29"]
You are also a very nice person, and it's wonderful to see you again. Thank you very much.
[traduction] Tu es aussi une personne très aimable, et c'est merveilleux de te revoir. Merci beaucoup.
Notons que, dans ce chapitre comme dans le chapitre La belle aventure ô gué, l'interprète est affublée de guillemets. (Je crois d'ailleurs qu'il s'agit de la même personne dans les deux émissions, mais la mauvaise qualité de la vidéo du "procès" ne me permet pas de l'affirmer.)
Nadia rapetisse
Extrait du chapitre Mission accomplie, antépénultième paragraphe :
On porte l'enfant en triomphe, on s'agenouillera même, s'il le faut, devant cet elfe d'un mètre cinquante-quatre qui balaye les mitraillettes présentes partout dans le village olympique.
À Montréal, Comaneci mesurait effectivement environ 1 mètre 54 cm.
Mais dans le chapitre Strasbourg, 2ème paragraphe :
[en référence à Montréal]
Je ne pouvais pas mesurer éternellement un mètre quarante-sept...
Béla au pays des Soviets
Le chapitre Moscou, In Memoriam. Elena M. 1960-2006 relate le destin tragique d'une gymnaste, Elena M. Le patronyme de cette gymnaste étant abrévié, le lecteur peut facilement penser qu'il s'agit d'une Roumaine, Elena étant un prénom roumain (entre autres), et donc que son entraîneur ô combien fautif n'était autre que Béla Károlyi.
C'est d'ailleurs ce que Lola Lafon affirme dans European Voices: A Reading & Conversation with Lola Lafon (www.youtube.com/watch?v=QL-ip-7H9tE). Dans cette discussion, de 25'15" à 28'36", elle lit ce chapitre, puis, à propos de l'entraîneur d'Elena M. :
[www.youtube.com/watch?v=QL-ip-7H9tE, 29'15"]
This is Béla Károlyi. Béla was bought by the Americans. I say bought, because that was the case. And now he is the trainer of the very successful American team. And what he has done with American gymnasts is the same he did in Romania.
[traduction] C'est Béla Károlyi. Béla fut acheté par les Américains. Je dis acheté, car ce fut le cas. Et maintenant il entraîne avec beaucoup de succès l'équipe américaine. Et ce qu'il a fait avec les gymnastes américaines est la même chose que ce qu'il a fait en Roumanie.
Le problème, c'est qu'Elena M. était Elena Mukhina, grande gymnaste... russe. Or, évidemment, jamais Károlyi n'a entraîné Mukhina, jamais. (S'il entendait que quelqu'un prétend qu'il a entraîné les Soviétiques...)
Pas d'amies
Extrait du chapitre Onesti-Bucuresti, 11ème et 12ème paragraphes :
"Autre chose", j'ai ajouté, cette interrogation naïve qui me taraudait depuis des mois : Nadia avait-elle une ou des amies très proches, avec qui elle aurait pu partager autre chose que la gymnastique ? Elle ne m'en avait fait aucune mention.
Iuliana m'a souri, une pause, puis : "Peut-être quand elle avait sept ans, oui. Après, comment voulez-vous..."
Pourtant, l'émission Appelez-moi Lise où Comaneci et Ungureanu sont invitées aborde brièvement le sujet de l'amitié entre les deux coéquipières, et ne laisse aucun doute à ce sujet (www.youtube.com/watch?v=XO_yB0o58PU, 3'50").
Il est par ailleurs facile de trouver sur Internet (mots-clés : Nadia Teodora) de nombreuses photos et vidéos où l'on devine leur complicité. Quelqu'un a même réalisé un blog à ce sujet : gym-passion2a.skyrock.com/653061469-Nadia-Comaneci-&-Teodora-Ungureanu.html (30 ans après avoir ébloui le monde entier lors des JO de Montréal, les 2 anciennes meilleures amies se sont retrouvées le mois dernier à New-York).
Zoom sur la vie très privée de Nadia
Rappelons que Lola Lafon n'a jamais été en contact avec Nadia Comaneci :
[next.liberation.fr/livres/2014/01/14/dialoguez-avec-lola-lafon_972691]
Je ne l'ai pas rencontrée car je n'avais pas pour projet de faire une bio. Je n'ai donc aucune relation avec "la vraie" Nadia.
Ce qu'elle confirme au Prix des Lecteurs du Festival du Livre de Mouans-Sartoux [www.youtube.com/watch?v=IbX44g87X6g, 4'50"].
Et maintenant, lisons ensemble un extrait du chapitre Bucarest (5ème et 6ème paragraphes) :
Tu t'appelles Nadia, comme la gymnaste ? font-ils, incrédules. Elle est "comme la gymnaste". La semaine dernière, un garçon (un homme !) la serre, ils dansent, son genou s'insinue entre ses jambes, sa respiration très chaude contre ses cheveux, elle n'a aucune idée de ce qu'elle devrait faire comme geste, il dit "Ne fais pas le bébé, fais pas ta difficile, dis donc t'as des bonnes fesses, hé t'as baisé avec un Américain à Montréal ? Putain ! Ces bleus que tu as, un gars t'a cognée ou quoi ?", elle couvre rapidement ses cuisses, embarrassée.
À qui est ce pied ? Et la tête, à qui, la tête sur laquelle il appuie pour qu'elle fasse quoi, et elle se rassied dans la voiture, légèrement nauséeuse, les joues très rouges, il lui tend un mouchoir pour qu'elle se nettoie. Elle se concentre, s'applique pour ne pas voir dans ces postures quelque chose à améliorer, raffiner. Les cuisses écartées comme un poulet qu'on va farcir. Tellement disgracieux, cette immobilité – il lui tient les genoux, donne des indications, oui comme ça, bébé, voilà, elle tente de s'exécuter au mieux. Ça ressemble à une opération pour laquelle il est recommandé de se détendre avant d'être incisée. La fine couche de graisse dont elle a laissé son corps se recouvrir pour passer inaperçue n'y change rien, il lui empoigne l'avant-bras et s'esclaffe : "Oh merde, faut que je me tienne à carreau, tu me battrais au bras de fer, toi."
Oui, c'est bien Lola Lafon qui écrit ces lignes – ceux qui ont le livre pourront vérifier que je n'ai pas changé un iota au texte. Lola Lafon la féministe. Celle-là même qui se plaint du sort subi par Comaneci : En effet, je n'imaginais pas une telle violence, une telle obscénité (www.regards.fr/web/lola-lafon-une-femme-n-est-jamais,7533).
Lola Lafon s'est-elle posé la question de savoir ce que la vraie Nadia Comaneci, avec qui elle n'a jamais été en contact, pense de tout le livre en général, et de ce chapitre en particulier ? Ou son mari ? Ou son fils (8 ans au moment de la publication du livre) ?
Que penserait Lola Lafon si quelqu'un écrivait ce genre de texte sur elle, "cuisses écartées" et tout ?
Ces considérations sont-elles au-dessus ou en dessous d'elle ?
Je ne vous trompe pas
Extrait du chapitre Onesti-Bucuresti, 19ème paragraphe (emphase ajoutée par moi) :
J'avais envie d'écrire à Nadia C., notre échange me manquait mais mes tentatives de lettres ressemblaient aux excuses d'une amante contrite et ambiguë : je n'apprends rien, Nadia, que vous ne voudriez que je sache, je ne vous trompe pas.
Sans commentaires.
Inexactitudes
Extrait du chapitre après Des chiffres : 13-95-25, 1er paragraphe :
Enivrés d'audimat, les médias occidentaux ne s'embarrassent pas de virgules et multiplient les morts de Timisoara, après tout, quelle meilleure fin à l'Histoire que ces cadavres du marxisme-léninisme, ces martyrs exemplaires d'un chef d'État que la France a malencontreusement décoré quelques années auparavant de la grand-croix de la Légion d'honneur...
Irritante effectivement, cette manie de manipuler les lecteurs selon ce qu'on veut leur faire accroire.
Bibliographie
Extrait de Sources et références :
Nadia Comaneci, Letters to a Young Gymnast, Basic Books, Perseus Books Group, New York, 2011.
Il s'agit d'une réédition. Précisons que la première édition (ISBN : 978-0-465-01276-3) date de 2003.